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DISCOURS

dions, quand on viendra nous dire : « Nous sommes venus devant vous, et on nous y a couverts de confusion et d’ignominie ; vous avez vu nos plaies, et vous n’avez pas voulu y mettre d’huile ; vous vouliez réparer les outrages qu’on nous a faits loin de vous, et on nous en a fait sous vos yeux de plus réels ; et vous n’avez rien dit : vous que, sur le tribunal où vous étiez, nous regardions comme les dieux de la terre, « vous avez été muets comme des statues « de bois et de pierre ». Vous dites que vous nous conservez nos biens : eh ! notre honneur nous est mille fois plus cher que nos biens. Vous dites que vous mettez en sûreté notre vie : ah ! notre honneur nous est bien d’un autre prix que notre vie. Si vous n’avez pas la force d’arrêter les saillies d’un orateur emporté, indiquez-nous du moins quelque tribunal plus juste que le vôtre. Que savons-nous si vous n’avez pas partagé le barbare plaisir que l’on vient de donner à nos parties, si vous n’avez pas joui de notre désespoir, et si ce que nous vous reprochons comme une foiblesse, nous ne devons pas plutôt vous le reprocher comme un crime ? »

Avocats, nous n’aurions jamais la force de soutenir de si cruels reproches, et il ne seroit jamais dit que vous auriez été plus prompts à manquer aux premiers devoirs, que nous à vous les faire connoître.

Procureurs, vous devez trembler tous les jours de votre vie sur votre ministère. Que dis-je ? vous devez nous faire trembler nous-mêmes. Vous pouvez à tous moments nous fermer les yeux sur la vérité, nous les ouvrir sur des lueurs et des apparences. Vous pouvez nous lier les mains, éluder les dispositions les plus justes et en abuser ; présenter sans cesse à vos parties la justice, et ne leur faire