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Il en est surtout ainsi pour l’idée de rétablir dans le chapitre xi l’apologie du suicide. Rien ne semble moins conforme aux intentions dernières du Président. Ne s’était-il pas récemment, en 1754, prononcé contre le meurtre de soi-même dans une lettre nouvelle, intercalée par lui dans le recueil des Lettres persanes[1] ?

IV

Il est très fâcheux pour un grand nombre de critiques qu’ils ne sachent pas lire. A cet égard, ils ressemblent à Voltaire. N’a-t-on pas reproché au trop spirituel écrivain de refaire les livres qu’il devait juger, et puis de juger des livres qu’il avait faits lui-même[2].

Montesquieu a publié un volume sous le titre de Considérations sur les Causes de la Grandeur des Romains et de leur Décadence. Presque tous les critiques ont traduit : Histoire philosophique de Rome. Ensuite, ils ont comparé cette Histoire aux ouvrages soi-disant semblables ; ils se sont étonnés de n’y trouver rien sur tel événement ou sur telle institution ; et même ils ont déclaré qu’ils ne saisissaient point l’ordre, la succession des chapitres. Ils paraissent ne s’être point, doutés qu’ils étaient en présence d’une œuvre originale par la forme comme par le fond, politique autant qu’historique, ne rentrant dans aucun genre classiquement défini, non plus (soit, dit en passant) que les Lettres persanes, qui sont autre chose qu’un simple roman, ou que l’Esprit des Lois, qui n’est point un traité de jurisprudence ordinaire. Quelque net et explicite que fût le titre du livre, ils n’ont pas su éviter une assimilation inexacte.

En revanche, ils se sont complus à dresser la liste des auteurs anciens et modernes, connus ou inconnus, dont Montesquieu pourrait bien s’être inspiré. — N’a pas qui veut des idées personnelles ! — Toutefois, et bien qu’ils se soient appliqués à cette recherche ardue, nous croyons qu’ils n’ont point relevé le nom de Flavio Blondi. L’omission est regrettable. Hâtons-nous de révéler que les traités de cet illustre érudit du xve siècle figurent sur le catalogue de la Bibliothèque de La Brède[3]. Or, l’un d’eux est relatif à la grandeur, un autre, à la décadence de

  1. C’est la 77e Lettre persane.
  2. Lettre de Montesquieu à l’abbé de Guasco, du 8 août 1752.
  3. Dans le Catalogue de la Bibliothèque de La Brède, à la page 471, on lit : « Blondi (Flavii). De Roma triumphante Libri decem ; Romæ instauratæ Libri tres ; De Origine ac Gestis Venetorum Liber ; ltalia illustrata in Regiones seu Provincias divisa xviii ; Historiarum ab inclinato Imperio Rom. Decades tres. (Basileæ, Froben, 1559.) Fol., 1 vol. » Le dernier traité est également cité dans le registre que Montesquieu appelait son Spicilegium (folio 435 v°). C’est lui, du moins, qui semble y être désigné ainsi : Flavius Blondus (De la Décadence de L’Empire romain).