Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/158

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soutenu que le grand-seigneur n’étoit point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu’il bornoit par-là son autorité[1].

Il faut que le peuple soit jugé par les loix, & les grands par la fantaisie du prince ; que la tête du dernier sujet soit en sûreté, & celle des bachas toujours exposée. On ne peut parler sans frémir de ces gouvernemens monstrueux. Le sophi de Perse, détrôné de nos jours par Mirivéis, vit le gouvernement périr avant la conquête, parce qu’il n’avoit pas versé assez de sang[2].

L’histoire nous dit que les horribles cruautés de Domitien effrayerent les gouverneurs, au point que le peuple se rétablit un peu sous son regne[3]. C’est ainsi qu’un torrent, qui ravage tout d’un côté, laisse de l’autre des campagnes où l’œil voit de loin quelques prairies.


CHAPITRE X.

Différence de l’obéissance dans les gouvernemens modérés, & dans les gouvernemens despotiques.


DANS les états despotiques, la nature du gouvernement demande une obéissance extrême ; & la volonté du prince, une fois connue, doit avoir aussi infailliblement son effet, qu’une boule jettée contre une autre doit avoir le sien.

Il n’y a point de tempérament, de modification, d’accommodemens, de termes, d’équivalens, de pourparlers, de remontrances ; rien d’égal ou de meilleur à proposer. L’homme est une créature qui obéit à une créature qui veut.

  1. Ricault, de l’empire Ottoman.
  2. Voyez l’hist. de cette révolution, par le pere Ducerceau.
  3. Son gouvernement étoit militaire ; ce qui est une des especes du gouvernement despotique.