Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/270

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Il se corrompt encore plus, lorsque l’honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, & que l’on peut être à la fois couvert d’infamie[1] & de dignités.

Il se corrompt, lorsque le prince change sa justice en sévériré ; lorsqu’il met, comme les empereurs Romains, une tête de Méduse sur sa poitrine[2] ; lorsqu’il prend cet air menaçant & terrible que Commode faisoit donner à ses statues[3].

Le principe de la monarchie se corrompt, lorsque des ames singuliérement lâches tirent vanité de la grandeur que pourroit avoir leur servitude ; & qu’elles croient que ce qui fait que l’on doit tout au prince, fait que l’on ne doit rien à sa patrie.

Mais, s’il est vrai (ce que l’on a vu dans tous les temps), qu’à mesure que le pouvoir du monarque devient immense, sa sûreté diminue ; corrompre ce pouvoir, jusqu’à le faire changer de nature, n’est-ce pas un crime de lese-majesté contre lui ?

  1. Sous le regne de Tibere, on éleva des statues, & l’on donna les ornemens triomphaux aux délateurs ; ce qui avilit tellement ces hommes, que ceux qui les avoient mérités, les dédaignerent. Fragm. de Dion, liv. LVIII, tiré de l’extrait des vertus & des vices de Const. Porphyrog. Voyez, dans Tacite, comment Néron, sur la découverte & la punition d’une prétendue conjuration, donna à Petronius Turpilianus, à Nerva, à Tigellinus, les ornemens triomphaux. Annal. liv. XIV. Voyez aussi comment les généraux dédaignerent de faire la guerre, parce qu’ils en méprisoient les honneurs, pervulgatis triumphi insignibus. Tacite, annal. liv. XIII.
  2. Dans cet état, le prince sçavoit bien quel étoit le principe de son gouvernement.
  3. Hérodien.