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CHAPITRE IV.

Quelques avantages du peuple conquis.


AU LIEU de tirer du droit de conquête des conséquences si fatales, les politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce droit peut quelquefois apporter au peuple vaincu. Ils les auroient mieux sentis, si notre droit des gens étoit exactement suivi, & s’il étoit établi dans toute la terre.

Les états que l’on conquiert ne sont pas ordinairement dans la force de leur institution : la corruption s’y est introduite ; les loix y ont cessé d’être exécutées ; le gouvernement est devenu oppresseur. Qui peut douter qu’un état pareil ne gagnât, & ne tirât quelques avantages de la conquête même, si elle n’étoit pas destructrice ? Un gouvernement parvenu au point où il ne peut plus se réformer lui-même, que perdroit-il à être refondu ? Un conquérant qui entre chez un peuple où, par mille ruses & mille artifices, le riche s’est insensiblement pratiqué une infinité de moyens d’usurper ; où le malheureux qui gémit, voyant ce qu’il croyoit des abus devenir des loix, est dans l’oppression, & croit avoir tort de la sentir : un conquérant, dis-je, peut dérouter tout ; & la tyrannie sourde est la premiere chose qui souffre la violence.

On a vu, par exemple, des états, opprimés par les traitans, être soulagés par le conquérant qui n’avoit ni les engagemens, ni les besoins qu’avoit le prince légitime. Les abus se trouvoient corrigés, sans même que le conquérant les corrigeât.

Quelquefois la frugalité de la nation conquérante l’a mise en état de laisser aux vaincus le nécessaire, qui leur étoit ôté sous le prince légitime.

Une conquête peut détruire les préjugés nuisibles ; & mettre, si j’ose parler ainsi, une nation sous un meilleur génie.