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CHAPITRE II.

Que c’est mal raisonner, de dire que la grandeur des tributs soit bonne par elle-même.


ON a vu, dans de certaines monarchies, que de petits pays, exempts de tributs, étoient aussi misérables que les lieux qui, tout autour, en étoient accablés. La principale raison est, que le petit état entouré ne peut avoir d’industrie, d’arts, ni de manufactures ; parce qu’à cet égard il est gêné, de mille manieres, par le grand état dans lequel il est enclavé. Le grand état qui l’entoure a l’industrie, les manufactures & les arts ; & il fait des réglemens qui lui en procurent tous les avantages. Le petit état devient donc nécessairement pauvre, quelque peu d’impôts qu’on y leve.

On a pourtant conclu, de la pauvreté de ces petits pays, que, pour que le peuple fût industrieux, il falloit des charges pesantes. On auroit mieux fait d’en conclure qu’il n’en faut pas. Ce sont tous les misérables des environs qui se retirent dans ces lieux-là, pour ne rien faire : déja découragés par l’accablement du travail, ils font consister toute leur félicité dans leur paresse.

L’effet des richesses d’un pays, c’est de mettre de l’ambition dans tous les cœurs : l’effet de la pauvreté, est d’y faire naitre le désespoir. La premiere s’irrite par le travail ; l’autre se console par la paresse.

La nature est juste envers les hommes. Elle les récompense de leurs peines ; elle les rend laborieux, parce qu’à de plus grands travaux elle attache de plus grandes récompenses. Mais, si un pouvoir arbitraire ôte les récompenses de la nature, on reprend le dégoût pour le travail, & l’inaction paroît être le seul bien.