Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XIX.

Qu’est-ce qui est plus convenable au prince & au peuple, de la ferme ou de la régie des tributs ?


LA régie est l’administration d’un bon pere de famille, qui leve lui-même, avec économie & avec ordre, ses revenus.

Par la régie, le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de ses peuples. Par la régie, il épargne à l’état les profits immenses des fermiers, qui l’appauvrissent d’une infinité de manieres. Par la régie, il épargne au peuple le spectacle des fortunes subites qui l’affligent. Par la régie, l’argent levé passe par peu de mains ; il va directement au prince, par conséquent revient plus promptement au peuple. Par la régie, le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises loix qu’exige toujours de lui l’avarice importunes des fermiers, qui montrent un avantage présent dans des réglemens funestes pour l’avenir.

Comme celui qui a l’argent est toujours le maître de l’autre, le traitant se rend despotique sur le prince même : il n’est pas législateur, mais il le force à donner des loix.

J’avoue qu’il est quelquefois utile de commencer par donner à ferme un droit nouvellement établi. Il y a un art & des inventions pour prévenir les fraudes, que l’intérêt des fermiers leur suggere, & que les régisseurs n’auroient sçu imaginer : or, le systême de la levée étant une fois fait par le fermier, on peut avec succès établir la régie. En Angleterre, l’administration de l’accise & du revenu des postes, telle qu’elle est aujourd’hui, a été empruntée des fermiers.

Dans les républiques, les revenus de l’état sont presque toujours en régie. L’établissement contraire fut un