Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/420

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rie, rapporterent une maladie à peu près pareille à la lepre. Aucun réglement, fait pour lors, n’est venu jusqu’à nous : mais il y a apparence qu’il y en eut, puisque ce mal fut suspendu jusqu’au temps des Lombards.

Il y a deux siecles qu’une maladie, inconnue à nos peres, passa du nouveau monde dans celui-ci, & vint attaquer la nature humaine jusques dans la source de la vie & des plaisirs. On vit la plupart des plus grandes familles du midi de l’Europe périr par un mal qui devint trop commun pour être honteux, & ne fut plus que funeste. Ce fut la soif de l’or qui perpétua cette maladie ; on alla sans cesse en Amérique, & on en rapporta toujours de nouveaux levains.

Des raisons pieuses voulurent demander qu’on laissât cette punition sur le crime : mais cette calamité étoit entrée dans le sein du mariage, & avoit déja corrompu l’enfance même.

Comme il est de la sagesse des législateurs de veiller à la santé des citoyens, il eût été très-censé d’arrêter cette communication par des loix faites sur le plan des loix Mosaïques.

La peste est un mal dont les ravages sont encore plus prompts & plus rapides. Son siege principal est en Égypte, d’où elle se répand par tout l’univers. On a fait, dans la plupart des états de l’Europe, de très-bons réglemens pour l’empêcher d’y pénétrer, & on a imaginé, de nos jours, un moyen admirable de l’arrêter : on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, qui empêche toute communication.

Les[1] Turcs, qui n’ont à cet égard aucune police, voient les Chrétiens, dans la même ville, échapper au danger, & eux seuls périr. Ils achetent les habits des pestiférés, s’en vêtissent & vont leur train. La doctrine d’un destin rigide, qui regle tout, fait du magistrat un spectateur tranquille : il pense que dieu a déja fait, & que lui n’a rien à faire.


  1. Ricaut, de l’empire Ottoman, pag. 284.