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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/434

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vente ou applique, suppléer au travail forcé qu’ailleurs on fait faire aux esclaves. Les mines des Turcs, dans le bannat de Témeswar, étoient plus riches que celles de Hongrie ; & elles ne produisoient pas tant, parce qu’ils n’imaginoient jamais que les bras de leurs esclaves.

Je ne sçais si c’est l’esprit ou le cœur qui me dicte cet article-ci. Il n’y a peut-être pas de climat sur la terre où l’on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les loix étoient mal faites, on a trouvé des hommes paresseux ; parce que ces hommes étoient paresseux, on les a mis dans l’esclavage.


CHAPITRE IX.

Des nations chez lesquelles la liberté civile est généralement établie.


ON entend dire, tous les jours, qu’il seroit bon que, parmi nous, il y eût des esclaves.

Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas examiner s’ils seroient utiles à la petite partie riche & voluptueuse de chaque nation ; sans doute qu’ils lui seroient utiles. Mais, prenant un autre point de vue, je ne crois pas qu’aucun de ceux qui la composent voulût tirer au sort, pour sçavoir qui devroit former la partie de la nation qui seroit libre, & celle qui seroit esclave. Ceux qui parlent le plus pour l’esclavage l’auroient le plus en horreur, & les hommes les plus misérables en auroient horreur de même. Le cri pour l’esclavage est donc le cri du luxe & de la volupté, & non pas celui de l’amour de la félicité publique. Qui peut douter que chaque homme, en particulier, ne fût très-content d’être le maitre des biens, de l’honneur & de la vie des autres ; & que toutes ses passions ne se réveillassent d’abord à cette idée ? Dans ces choses, voulez-vous sçavoir si les desirs de chacun sont légitimes ? examinez les desirs de tous.