Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, comme tous les hommes naissent égaux, il faut dire que l’esclavage est contre la nature, quoique, dans certains pays, il soit fondé sur une raison naturelle ; & il faut bien distinguer ces pays d’avec ceux où les raisons naturelles mêmes le rejettent, comme les pays d’Europe où il a été si heureusement aboli.

Plutarque nous dit, dans la vie de Numa, que, du temps de Saturne, il n’y avoit ni maître, ni esclave. Dans nos climats, le christianisme a ramené cet âge.


CHAPITRE VIII.

Inutilité de l’esclavage parmi nous.


IL faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre. Dans tous les autres, il me semble que, quelque pénibles que soient les travaux que la société y exige, on peut tout faire avec des hommes libres.

Ce qui me fait penser ainsi, c’est qu’avant que le christianisme eût aboli en Europe la servitude civile, on regardoit les travaux des mines comme si pénibles, qu’on croyoit qu’ils ne pouvoient être faits que par des esclaves ou par des criminels. Mais on sçait qu’aujourd’hui les hommes qui y sont employés vivent heureux[1]. On a, par de petits privileges, encouragé cette profession ; on a joint, à l’augmentation du travail, celle du gain ; & on est parvenu à leur faire aimer leur condition plus que toute autre qu’ils eussent pu prendre.

Il n’y a point de travail si pénible qu’on ne puisse proportionner à la force de celui qui le fait, pourvu que ce soit la raison & non pas l’avarice qui le regle. On peut, par la commodité des machines que l’art in-


  1. On peut se faire instruire de ce qui se passe, à cet égard, dans les mines du Hartz dans la basse-Allemagne, & dans celles de Hongrie.