Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/463

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du moins une conséquence de la loi des douze-tables. Car, dès le moment que la femme ou le mari avoit séparément le droit de répudier, à plus forte raison pouvoient-ils se quitter de concert, & par une volonté mutuelle.

La loi ne demandoit point qu’on donnât des causes pour le divorce[1]. C’est que, par la nature de la chose, il faut des causes pour la répudiation, & qu’il n’en faut point pour le divorce ; parce que, là où la loi établit des causes qui peuvent rompre le mariage, l’incompatibilité mutuelle est la plus forte de toutes.

Denys d’Halicarnasse[2], Valere Maxime[3], & Aulugelle[4], rapportent un fait qui ne me paroît pas vraisemblable : ils disent que, quoiqu’on eût à Rome la faculté de répudier sa femme, on eut tant de respect pour les auspices, que personne, pendant cinq cens vingt ans[5], n’usa de ce droit jusqu’à Carvilius Ruga, qui répudia la sienne pour cause de stérilité. Mais il suffit de connoître la nature de l’esprit humain, pour sentir quel prodige ce seroit que, la loi donnant à tout un peuple un droit pareil, personne n’en usât. Coriolan, partant pour son exil, conseilla[6] à sa femme de se marier à un homme plus heureux que lui. Nous venons de voir que la loi des douze-tables, & les mœurs des Romains, étendirent beaucoup la loi de Romulus. Pourquoi ces extensions, si on n’avoit jamais fait usage de la faculté de répudier ? De plus : si les citoyens eurent un tel respect pour les auspices, qu’ils ne répudierent jamais, pourquoi les législateurs de Rome en eurent-ils moins ? Comment la loi corrompit-elle sans cesse les mœurs ?

En rapprochant deux passages de Plutarque, on verra


  1. Justinien changea cela, novel. 117, chap. X.
  2. Liv. II.
  3. Liv. II, chap. IV.
  4. Liv. IV, chap. III.
  5. Selon Denys d’Halicarnasse & Valere Maxime ; & 523, selon Aulugelle. Aussi ne mettent-ils pas les mêmes consuls.
  6. Voyez le discours de Véturie, dans Denys d’Halicarnasse, livre VIII.