Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/464

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disparoître le merveilleux du fait en question. La loi royale[1] permettoit au mari de répudier dans les trois cas dont nous avons parlé. "Et elle vouloit, dit Plutarque[2], que celui qui répudieroit dans d’autres cas fût obligé de donner la moitié de ses biens à sa femme, & que l’autre moitié fût consacrée à Cérès." On pouvoit donc répudier dans tous les cas, en se soumettant à la peine. Personne ne le fit avant Carvilius Ruga[3], qui, comme dit encore Plutarque[4], répudia sa femme pour cause de stérilité, deux cens trente ans après Romulus ; " c’est-à-dire, qu’il la répudia soixante & onze ans avant la loi des douze-tables, qui étendit le pouvoir de répudier, & les causes de répudiation.

Les auteurs que j’ai cités disent que Carvilius Ruga aimoit sa femme ; mais qu’à cause de sa stérilité, les censeurs lui firent faire serment qu’il la répudieroit, afin qu’il pût donner des enfans à la république ; & que cela le rendit odieux au peuple. Il faut connoître le génie du peuple Romain, pour découvrir la vraie cause de la haine qu’il conçut pour Carvilius. Ce n’est point parce que Carvilius répudia sa femme, qu’il tomba dans la disgrace du peuple : c’est une chose dont le peuple ne s’embarrassoit pas. Mais Carvilius avoit fait un serment aux censeurs qu’attendu la stérilité de sa femme, il la répudieroit pour donner des enfans à la république : c’étoit un joug que le peuple voyoit que les censeurs alloient mettre sur lui. Je ferai voir, dans la suite[5]} de cet ouvrage, les répugnances qu’il eut toujours pour des réglemens pareils. Mais d’où peut venir une telle contradiction entre ces auteurs ? Le voici : Plutarque a examiné un fait, & les autres ont raconté une merveille.


  1. Plutarque, vie de Romulus.
  2. Id. Ibid.
  3. Effectivement, la cause de stérilité n’est point portée par la loi de Romulus. Il y a apparence qu’il ne fut point sujet à la confiscation, puisqu’il suivoit l’ordre des censeurs.
  4. Dans la comparaison de Thésée & de Romulus.
  5. Au liv. XXIII, ch. XXI.