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pas s’y prêter la main ; les conquérans sont arrêtés par la mer ; les insulaires ne sont pas enveloppés dans la conquête, & ils conservent plus aisément leurs loix.


CHAPITRE VI.

Des pays formés par l’industrie des hommes.


LES pays que l’industrie des hommes a rendus habitables, & qui ont besoin, pour exister, de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. Il y en a principalement trois de cette espece ; les deux belles provinces de Kiangnan & Tche-kiang à la Chine, l’Égypte & la Hollande.

Les anciens empereurs de la Chine n’étoient point conquérans. La premiere chose qu’ils firent pour s’aggrandir, fut celle qui prouva le plus leur sagesse. On vit sortir de dessous les eaux les deux plus belles provinces de l’empire ; elles furent faites par les hommes. C’est la fertilité inexprimable de ces deux provinces, qui a donné à l’Europe les idées de la félicité de cette vaste contrée. Mais un soin continuel & nécessaire pour garantir de la destruction une partie si considérable de l’empire, demandoit plutôt les mœurs d’un peuple sage, que celles d’un peuple voluptueux ; plutôt le pouvoir légitime d’un monarque, que la puissance tyrannique d’un despote. Il falloit que le pouvoir y fût modéré, comme il l’étoit autrefois en Égypte. Il falloit que le pouvoir y fût modéré, comme il l’est en Hollande, que la nature a faite pour avoir attention sur elle-même, & non pas pour être abandonnée à la nonchalance ou au caprice.

Ainsi, malgré le climat de la Chine, où l’on est naturellement porté à l’obéissance servile ; malgré les horreurs qui suivent la trop grande étendue d’un empire, les premiers législateurs de la Chine furent obligés de faire de très-bonnes loix ; & le gouvernement fut souvent obligé de les suivre.

CHA-