Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/490

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Nous sçavons par Tacite & César, que les terres que les Germains cultivoient ne leur étoient données que pour un an ; après quoi, elles redevenoient publiques. Ils n’avoient de patrimoine que la maison, & un morceau de terre dans l’enceinte autour de la maison[1]. C’est ce patrimoine particulier qui appartenoit aux mâles. En effet, pourquoi auroit-il appartenu aux filles ? Elles passoient dans une autre maison.

La terre salique étoit donc cette enceinte qui dépendoit de la maison du Germain ; c’étoit la seule propriété qu’il eût. Les Francs, après la conquête, acquirent de nouvelles propriétés, & on continua à les appeller des terres saliques.

Lorsque les Francs vivoient dans la Germanie, leurs biens étoient des esclaves, des troupeaux, des chevaux, des armes, &c. La maison, & la petite portion de terre qui y étoit jointe, étoient naturellement données aux enfans mâles qui devoient y habiter. Mais, lorsque après la conquête, les Francs eurent acquis de grandes terres, on trouva dur que les filles & leurs enfans ne pussent y avoir de part. Il s’introduisit un usage, qui permettoit au pere de rappeller sa fille & les enfans de sa fille. On fit taire la loi ; & il falloit bien que ces sortes de rappels fussent communs, puisqu’on en fit des formules[2].

Parmi toutes ces formules, j’en trouve une singuliere[3]. Un aïeul rappelle ses petits-enfans pour succéder avec ses fils & avec ses filles. Que devenoit donc la loi salique ? Il falloit que, dans ces temps-là même, elle ne fût plus observée ; ou que l’usage continuel de rappeller les filles eût fait regarder leur capacité de succéder comme le cas le plus ordinaire.

La loi salique n’ayant point pour objet une certaine préférence d’un sexe sur un autre, elle avoit encore


  1. Cette enceinte s’appelle curtis, dans les chartes.
  2. Voyez Marculfe, liv. II, form. 10 & 11 ; l’appendice de Marculfe, form. 49 ; & les formules anciennes, appellées de Sirmond, form. 22.
  3. Form. 55, dans le recueil de Lindembroch.