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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/539

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lices & à ses fantaisies. Dans le gouvernement de plusieurs, il est plus souvent fondé sur l’économie. Les négocians ayant l’œil sur toutes les nations de la terre, portent à l’une ce qu’ils tirent de l’autre. C’est ainsi que les républiques de Tyr, de Carthage, d’Athenes, de Marseille, de Florence, de Venise & de Hollande ont fait le commerce.

Cette espece de trafic regarde le gouvernement de plusieurs par sa nature, & le monarchique par occasion. Car, comme il n’est fondé que sur la pratique de gagner peu, & même de gagner moins qu’aucune autre nation, & de ne se dédommager qu’en gagnant continuellement, il n’est gueres possible qu’il puisse être fait par un seul peuple chez qui le luxe est établi, qui dépense beaucoup, & qui ne voit que de grands objets.

C’est dans ces idées que Cicéron[1] disoit si bien : "Je n’aime point qu’un même peuple soit, en même temps, le dominateur & le facteur de l’univers." En effet, il faudroit supposer que chaque particulier dans cet état, & tout l’état même, eussent toujours la tête pleine de grands projets, & cette même tête remplie de petits : ce qui est contradictoire.

Ce n’est pas que, dans ces états qui subsistent par le commerce d’économie, on ne fasse aussi les plus grandes entreprises, & que l’on n’y ait une hardiesse qui ne se trouve pas dans les monarchies : en voici la raison.

Un commerce mene à l’autre, le petit au médiocre, le médiocre au grand : & celui qui a eu tant d’envie de gagner peu, se met dans une situation ou il n’en a pas moins de gagner beaucoup.

De plus : les grandes entreprises des négocians sont toujours nécessairement mêlées avec les affaires publiques. Mais, dans les monarchies, les affaires publiques sont, la plupart du temps, aussi suspectes aux marchands, qu’elles leur paroissent sûres dans les états républicains. Les grandes entreprises de commerce ne sont donc pas


  1. Nolo eumdem populum imperatorem & portitorem esse terrarum.