Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vils, devint encore celle des mal-honnêtes gens : car toutes les fois que l’on défend une chose naturellement permise ou nécessaire, on ne fait que rendre mal-honnêtes gens ceux qui la font.

Le commerce passa à une nation pour lors couverte d’infamie ; & bientôt il ne fut plus distingué des usures les plus affreuses, des monopoles, de la levée des subsides, & de tous les moyens mal-honnêtes d’acquérir de l’argent.

Les Juifs[1], enrichis par leurs exactions, étoient pillés par les princes avec la même tyrannie : chose qui consoloit les peuples, & ne les soulageoit pas.

Ce qui se passa en Angleterre donnera une idée de ce qu’on fit dans les autres pays. Le roi Jean[2] ayant fait emprisonner les Juifs pour avoir leur bien, il y en eut peu qui n’eussent au moins quelqu’œil crevé : ce roi faisoit ainsi sa chambre de justice. Un d’eux, à qui on arracha sept dents, une chaque jour, donna dix mille marcs d’argent à la huitieme. Henri III tira d’Aaron, juif d’York, quatorze mille marcs d’argent, & dix mille pour la reine. Dans ces temps-là, on faisoit violemment ce qu’on fait aujourd’hui en Pologne avec quelque mesure. Les rois, ne pouvant fouiller dans la bourse de leurs sujets à cause de leurs privileges, mettoient à la torture les Juifs, qu’on ne regardoit pas comme citoyens. Enfin, il s’introduisit une coutume, qui confisqua tous les biens des Juifs qui embrassoient le christianisme. Cette coutume si bizarre, nous la sçavons par la loi[3] qui l’abroge. On en a donné des raisons bien vaines ; on a dit qu’on vouloit les éprouver, & faire en sorte qu’il ne restât rien de l’esclavage du démon. Mais il est visible que cette confiscation étoit une espece


  1. Voyez, dans Marca Hispanica, les constitutions d’Arragon, des années 1228 & 1231 ; &, dans Brussel, l’accord de l’année 1206, passé entre le roi, la comtesse de Champagne, & Gui de Dampierre.
  2. Slowe, in his survey of London, liv. III, page 54.
  3. Edit donné à Baville, le 4 avril 1392.