Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/603

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rafinés qu’eux trouverent qu’elles étoient des objets de commerce, & c’est là-dessus qu’ils dirigerent leurs vues. Plusieurs peuples se sont conduits avec tant de sagesse, qu’ils ont donné l’empire à des compagnies de négocians, qui, gouvernant ces états éloignés uniquement pour le négoce, ont fait une grande puissance accessoire, sans embarrasser l’état principal.

Les colonies qu’on y a formées sont sous un genre de dépendance dont on ne trouve que peu d’exemples dans les colonies anciennes, soit que celles d’aujourd’hui relevent de l’état même, ou de quelque compagnie commerçante établie dans cet état.

L’objet de ces colonies est de faire le commerce à de meilleures conditions qu’on ne le fait avec les peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi que la métropole seule pourroit négocier dans la colonie ; & cela avec grande raison, parce que le but de l’établissement a été l’extention du commerce, non la fondation d’une ville ou d’un nouvel empire.

Ainsi, c’est encore une loi fondamentale de l’Europe, que tout commerce avec une colonie étrangere est regardé comme un pur monopole punissable par les loix du pays : & il ne faut pas juger de cela par les loix & les exemples des anciens[1] peuples qui n’y sont gueres applicables.

Il est encore reçu que le commerce établi entre les métropoles n’entraîne point une permission pour les colonies, qui restent toujours en état de prohibition.

Le désavantage des colonies, qui perdent la liberté du commerce, est visiblement compensé par la protection de la métropole[2], qui la défend par ses armes, ou la maintient par ses loix.

De-là suit une troisième loi de l’Europe, que, quand


  1. Excepté les Carthaginois, comme on voit par le traité qui termina la premiere guerre punique.
  2. Métropole est, dans le langage des anciens, l’état qui a fondé la colonie.