Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le commerce étranger est défendu avec la colonie, on peut naviger dans ses mers, que dans les cas établis par les traités.

Les nations, qui sont à l’égard de tout l’univers ce que les particuliers sont dans un état, se gouvernent, comme eux, par le droit naturel & par les loix qu’elles se sont faites. Un peuple peut céder à un autre la mer ; comme il peut céder la terre. Les Carthaginois exigerent[1] des Romains qu’ils ne navigeroient pas au-delà de certaines limites, comme les Grecs avoient exigé du roi de Perse qu’il se tiendroit toujours éloigné des côtes de la mer[2] de la carriere d’un cheval.

L’extrême éloignement de nos colonies n’est point un inconvénient pour leur sûreté : car, si la métropole est éloignée pour les défendre, les nations rivales de la métropole ne sont pas moins éloignées pour les conquérir.

De plus, cet éloignement fait que ceux qui vont s’y établir ne peuvent prendre la maniere de vivre d’un climat si différent ; ils sont obligés de tirer toutes les commodités de la vie du pays d’où ils sont venus. Les Carthaginois[3], pour rendre les Sardes & les Corses plus dépendans, leur avoient défendu, sous peine de la vie, de planter, de semer, & de rien faire de semblable ; ils leur envoyoient d’Afrique des vivres. Nous sommes parvenus au même point, sans faire des loix si dures. Nos colonies des isles Antilles sont admirables ; elles ont des objets de commerce que nous n’avons ni ne pouvons avoir ; elles manquent de ce qui fait l’objet du nôtre.

L’effet de la découverte de l’Amérique fut de lier à l’Europe l’Asie & l’Afrique. L’Amérique fournit à l’Europe la matiere de son commerce avec cette vaste partie de l’Asie, qu’on appella les Indes orientales. L’ar-


  1. Polybe, liv. III.
  2. Le roi de Perse s’obligea, par un traité, de ne naviger avec aucun vaisseau de guerre au de-là des roches Scyanées, & des isles Chélidoniennes. Plutarque, vie de Cimon.
  3. Aristote, des choses merveilleuses. Tite Live, liv. VII de la seconde décade.