Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/101

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est un lion qui cede à la main qui le flatte, ou à la voix qui l’appaise : celui qui craint la religion, & qui la hait, est comme les bêtes sauvages qui mordent la chaîne qui les empêche de se jetter fur ceux qui passent : celui qui n’a point du tout de religion, est cet animal terrible qui ne sent sa liberté que lorsqu’il déchire & qu’il dévore.

La question n’est pas de sçavoir s’il vaudroit mieux qu’un certain homme ou qu’un certain peuple n’eût point de religion, que d’abuser de celle qu’il a ; mais de sçavoir quel est le moindre mal, que l’on abuse quelque-fois de la religion, ou qu’il n’y en ait point du tout parmi les hommes.

Pour diminuer l’horreur de l’athéisme, on charge trop l’idolâtrie. Il n’est pas vrai que, quand les anciens élevoient des autels à quelque vice, cela signifiât qu’ils aimassent ce vice : cela signifioit, au contraire, qu’ils le haïssoient. Quand les Lacédémoniens érigèrent une chapelle à la Peur, cela ne signifioit pas que cette nation belliqueuse lui demandât de s’emparer, dans les combats, des cœurs des Lacédémoniens. Il y avoit des divinités à qui on demandoit de ne pas inspirer le crime ; & d’autres à qui on demandoit de le détourner.


CHAPITRE III.

Que le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne, & le gouvernement despotique à la mahométane.


LA religion chrétienne est éloignée du pur despotisme : c’est que la douceur étant si recommandée dans l’évangile, elle s’oppose à la colère despotique avec laquelle le prince se feroit justice, & exerceroit ses cruautés.

Cette religion défendant la pluralité des femmes, les princes y font moins renfermés, moins séparés de leurs