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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/102

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sujets, & par conséquent plus hommes ; ils sont plus disposés à se faire des loix, & plus capables de sentir qu’ils ne peuvent pas tout.

Pendant que les princes mahométans donnent sans cesse la mort, ou la reçoivent ; la religion, chez les chrétiens, rend les princes moins timides, & par conséquent moins cruels. Le prince compte sur ses sujets, & les sujets sur le prince. Chose admirable ; la religion chrétienne, qui ne semble avoir d’autre objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci.

C’est la religion chrétienne qui, malgré la grandeur de l’empire & le vice du climat, a empêché le despotisme de s’établir en Ethiopie, & a porté au milieu de l’Afrique les mœurs de l’Europe & ses loix.

Le prince héritier d’Ethiopie jouit d’une principauté, & donne aux autres sujets l’exemple de l’amour & de l’obéissance. Tout près de-là, on voit le mahométisme faire enfermer les enfans du roi de Sennar : à sa mort, le conseil les envoie égorger, en faveur de celui qui monte sur le trône[1].

Que, d’un côté, l’on se mette devant les yeux les massacres continuels des rois & des chefs Grecs & Romains ; &, de l’autre, la destruction des peuples & des villes, par ces mêmes chefs ; Thimur & Gengis-kan, qui ont dévasté l’Asie ; & nous verrons que nous devons au christianisme, & dans le gouvernement un certain droit politique, & dans la guerre un certain droit des gens, que la nature humaine ne sçauroit assez reconnoître.

C’est ce droit des gens qui fait que, parmi nous, la victoire laisse aux peuples vaincus ces grandes choses, la vie, la liberté, les loix, les biens, & toujours la religion, lorsqu’on ne s’aveugle pas soi-même.

On peut dire que les peuples de l’Europe ne sont pas aujourd’hui plus désunis que ne l’étoient, dans l’em-


  1. Relation d’Ethiopie, par le sieur Ponce, médecin, au quatrieme recueil des lettres édifiantes.