Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/111

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des actions humaines, les peines des loix doivent être plus séveres, & la police plus vigilante ; pour que les hommes, qui, sans cela, s’abandonneroient eux-mêmes, soient déterminés par ces motifs : mais, si la religion établit le dogme de la liberté, c’est autre chose.

De la paresse de l’ame naît le dogme de la prédestination mahométane ; & du dogme de cette prédestination naît la paresse de l’ame. On a dit : cela est dans les décrets de dieu ; il faut donc rester en repos. Dans un cas pareil, on doit exciter, par les loix, les hommes endormis dans la religion.

Lorsque la religion condamne des choses que les loix civiles doivent permettre, il est dangereux que les loix civiles ne permettent, de leur côté, ce que la religion doit condamner ; une de ces choses marquant toujours un défaut d’harmonie & de justesse dans les idées, qui se répand sur l’autre.

Ainsi les Tartares de Gengis-kan, chez lesquels c’étoit un péché, & même un crime capital, de mettre le couteau dans le feu, de s’appuyer contre un fouet, de battre un cheval avec sa bride, de rompre un os avec un autre, ne croyoient pas qu’il y eût de péché à violer la foi, à ravir le bien d’autrui, à faire injure à un homme, à le tuer[1]. En un mot, les loix qui font regarder comme nécessaire ce qui est indifférent, ont cet inconvénient, qu’elles font considérer comme indifférent ce qui est nécessaire.

Ceux de Formose croient une espece d’enfer[2]; mais c’est pour punir ceux qui ont manqué d’aller nuds en certaines saisons, qui ont mis des vêtemens de toile & non pas de soie, qui ont été chercher des huîtres, qui ont agi sans consulter le chant des oiseaux : aussi ne regardent-ils point comme péché l’ivrognerie & le déréglement avec les femmes ; ils croient même que


  1. Voyez la relation de frere Jean Duplan Carpin, envoyé en Tartarie par le pape Innocent IV, en l’année 1246.
  2. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tome V, part. I, page 192.