Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/112

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les débauches de leurs enfans sont agréables à leurs dieux.

Lorsque la religion justifie pour une chose d’accident, elle perd inutilement le plus grand ressort qui soit parmi les hommes. On croit, chez les Indiens, que les eaux du Gange ont une vertu sanctifiante[1]; ceux qui meurent sur ses bords sont réputés exempts des peines de l’autre vie, & devoir habiter une région pleine de délices : on envoie, des lieux les plus reculés, des urnes pleines des cendres des morts, pour les jetter dans le Gange. Qu’importe qu’on vive vertueusement, ou non, on se sera jetter dans le Gange.

L’idée d’un lieu de récompense emporte nécessairement l’idée d’un séjour de peines ; & quand on espere l’un sans craindre l’autre, les loix civiles n’ont plus de force. Des hommes qui croient des récompenses sûres dans l’autre vie échapperont au législateur : ils auront trop de mépris pour la mort. Quel moyen de contenir, par les loix, un homme qui croit être sûr que la plus grande peine que les magistrats lui pourront infliger, ne finira, dans un moment, que pour commencer son bonheur ?


CHAPITRE XV.

Comment les loix civiles corrigent quelquefois les fausses religions.


LE respect pour les choses anciennes, la simplicité ou la superstition, ont quelquefois établi des mysteres ou des cérémonies qui pouvoient choquer la pudeur ; & de cela les exemples n’ont pas été rares dans le monde. Aristote dit que, dans ce cas, la loi permet que les peres de famille aillent au temple célébrer ces myste-

  1. Lettres édifiantes, quinzième recueil.