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Chapitre IX.

Comment les codes des lois des Barbares et les Capitulaires se perdirent


Les lois saliques, ripuaires, bourguignonnes et wisigothes cessèrent peu à peu d’être en usage chez les Français : voici comment.

Les fiefs étant devenus héréditaires, et les arrière-fiefs s’étant étendus, il s’introduisit beaucoup d’usages auxquels ces lois n’étoient plus applicables. On en retint bien l’esprit, qui étoit de régler la plupart des affaires par des amendes. Mais, les valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi ; et l’on voit beaucoup de chartres où les seigneurs fixoient les amendes qui devoient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l’on suivit l’esprit de la loi, sans suivre la loi même.

D’ailleurs, la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries, qui reconnaissoient plutôt une dépendance féodale qu’une dépendance politique, il étoit bien difficile qu’une seule loi pût être autorisée. En effet, on n’auroit pas pu la faire observer. L’usage n’étoit guère plus qu’on envoyât des officiers extraordinaires dans les provinces, qui eussent l’œil sur l’administration de la justice et sur les affaires politiques. Il paraît même, par les chartres, que, lorsque de nouveaux fiefs s’établissoient, les rois se privoient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout à peu près fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés ; il n’y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvoit faire observer la loi commune.