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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/28

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Quelquefois les législateurs ont employé un tel art, que non-seulement les choses représentoient l’argent par leur nature, mais qu’elles devenoient monnoie comme l’argent même. César,[1] dictateur, permit aux débiteurs de donner paiement, à leurs créanciers, des fonds de terre au prix qu’ils valoient avant la guerre civile. Tibere[2] ordonna que ceux qui voudroient de l’argent, en auroient du trésor public, en obligeant des fonds pour le double. Sous César, les fonds de terre furent la monnoie qui paya toutes les dettes ; sous Tibere, dix mille sesterces en fonds devinrent une monnoie commune, comme cinq mille sesterces en argent.

La grande charte d’Angleterre défend de saisir les terres ou le revenus d’un débiteur, lorsque ses biens mobiliers ou personnels suffisent pour le paiement, & qu’il offre de les donner : pour lors, tous les biens d’un Anglois représentoient de l’argent.

Les loix des Germains apprécierent en argent les satisfactions pour les torts que l’on avoit faits, & pour les peines des crimes. Mais, comme il y avoit très-peu d’argent dans le pays, elles réapprécierent l’argent en denrées ou en bétail. Ceci se trouve fixé dans la loi des Saxons, avec de certaines différences, suivant l’aisance & la commodité des divers peuples. D’abord[3] la loi déclare la valeur du sou en bétail : le sou de deux trémisses se rapportoit à un bœuf de douze mois, ou à une brebis avec son agneau ; celui de trois trémisses valoit un bœuf de seize mois. Chez ces peuples, la monnoie devenoit bétail, marchandise ou denrée ; & ces choses devenoient monnoie.

Non-seulement l’argent est un signes des choses ; il est encore un signe de l’argent, & représente l’argent, comme nous le verrons au chapitre du change.


  1. Voyez César, de la guerre civile, liv. III.
  2. Tacite, liv. VI.
  3. Loi des Saxons, ch. XVIII.