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CHAPITRE III.

Des monnoies idéales.


IL y a des monnoies réelles & des monnoies idéales. Les peuples policés, qui se servent presque tous de monnoies idéales, ne le font que parce qu’ils ont converti leurs monnoies réelles en idéales. D’abord, leurs monnoies réelles font un certains poids & un certain titre de quelque métal. Mais bientôt la mauvaise foi ou le besoin font qu’on retranche une partie du métal de chaque pièce de monnoie, à laquelle on laisse le même nom : par exemple, d’une piece du poids d’une livre d’argent, on retranche la moitié de l’argent, & on continuer de l’appeller livre ; la piece, qui étoit une vingtieme partie de la livre d’argent, on continue de l’appeller sou, quoiqu’elle ne soit plus la vingtieme partie de cette livre. Pour lors, la livre est une livre idéale, & le sou un sou idéal ; ainsi des autres subdivisions : & cela peut aller au point que ce qu’on appellera livre, ne sera plus qu’une très-petite portion de la livre ; ce qui la rendra encore plus idéale. Il peut même arriver que l’on ne fera plus de piece de monnoie qui vaille précisément une livre, & qu’on ne fera pas non plus de piece qui vaille un sou : pour lors, la livre & le sou seront des monnoies purement idéales. On donnera, à chaque piece de monnoie, la dénomination d’autant de livres & d’autant de sous que l’on voudra ; la variation pourra être continuelle, parce qu’il est difficile de changer la chose même.

Pour ôter la source des abus, ce sera une très-bonne loi, dans tous les pays où l’on voudra faire fleurir le commerce, que celle qui ordonnera qu’on emploiera des monnoies réelles, & que l’on ne fera point d’opération qui puisse les rendre idéales.