Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/362

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ancienne, et tenait plus, en quelque sorte, à l’abus des mœurs qu’à l’abus des lois.

L’Histoire de Grégoire de Tours et les autres monuments nous font voir, d’un côté, une nation féroce et barbare ; et, de l’autre, des rois qui ne l’étaient pas moins. Ces princes étaient meurtriers, injustes et cruels, parce que toute la nation l’était. Si le christianisme parut quelquefois les adoucir, ce ne fut que par les terreurs que le christianisme donne aux coupables. Les églises se défendirent contre eux par les miracles et les prodiges de leurs saints. Les rois n’étaient point sacrilèges, parce qu’ils redoutaient les peines des sacrilèges ; mais d’ailleurs ils commirent, ou par colère, ou de sang-froid, toutes sortes de crimes et d’injustices, parce que ces crimes et ces injustices ne leur montraient pas la main de la divinité si présente. Les Francs, comme j’ai dit, souffraient des rois meurtriers, parce qu’ils étaient meurtriers eux-mêmes ; ils n’étaient point frappés des injustices et des rapines de leurs rois, parce qu’ils étaient ravisseurs et injustes comme eux. Il y avait bien des lois établies ; mais les rois les rendaient inutiles par de certaines lettres appelées Préceptions, qui renversaient ces mêmes lois : c’était à peu près comme les rescrits des empereurs romains, soit que les rois eussent pris d’eux cet usage, soit qu’ils l’eussent tiré du fond même de leur naturel. On voit dans Grégoire de Tours qu’ils faisaient des meurtres de sang-froid, et faisaient mourir des accusés qui n’avaient pas seulement été entendus ; ils donnaient des préceptions pour faire des mariages illicites  ; ils en donnaient pour transporter les successions ; ils en donnaient pour ôter le droit des parents ; ils en donnaient pour épouser les religieuses. Ils