Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/71

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cas des peuples naissans : il n’en coûte rien au père pour donner son art à ses enfans, qui même sont, en naissant, des instrumens de cet art. Ces gens, dans un pays riche ou superstitieux, se multiplient ; parce qu’ils n’ont pas les charges de la société, mais sont eux-mêmes les charges de la société. Mais les gens qui ne sont pauvres que parce qu’ils vivent dans un gouvernement dur, qui regardent leur champ moins comme le fondement de leur subsistance, que comme un prétexte à la vexation ; ces gens-là, dis-je, font peu d’enfans. Ils n’ont pas même leur nourriture ; comment pourroient-ils songer à la partager ? ils ne peuvent se soigner dans leurs maladies ; comment pourroient-ils élever des créatures qui sont dans une maladie continuelle qui est l’enfance ?

C’est la facilité de parler, & l’impuissance d’examiner, qui ont fait dire que, plus les sujets étoient pauvres, plus les familles étoient nombreuses ; que, plus on étoit chargé d’impôts, plus on se mettoit en état de les payer : deux sophismes qui ont toujours perdu, & qui perdront à jamais les monarques.

La dureté du gouvernement peut aller jusqu’à détruire les sentimens naturels, par les sentimens naturels mêmes. Les femmes de l’Amérique ne se faisoient-elles pas avorter, pour que leurs enfans n’eussent pas des maîtres aussi cruels[1] ?


CHAPITRE XII.

De la dureté du gouvernement.


J’AI déjà dit[2] qu’en Europe il naît un peu plus de garçons que de filles. On a remarqué qu’au Japon[3]

  1. Relation de Thomas Gage, pag. 58.
  2. Au liv. XV, chap. IV.
  3. Voyez Kempser, qui rapporte un dénombrement de Méaco.