Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/76

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tion, composée de villes qui avoient chacune leur gouvernement & leurs loix. Elles n’étoient pas plus conquérantes que celles de Suisse, de Hollande & d’Allemagne ne le sont aujourd’hui : dans chaque république, le législateur avoit eu pour objet le bonheur des citoyens au-dedans, & une puissance au-dehors qui ne fut pas inférieure à celle des villes voisines[1]. Avec un petit territoire & une grande félicité, il étoit facile que le nombre des citoyens augmentât, & leur devînt à charge : aussi firent-ils, sans cesse, des colonies[2]; ils se vendirent pour la guerre, comme les Suisses font aujourd’hui : rien ne fut négligé de ce qui pouvoit empêcher la trop grande multiplication des enfans.

Il y avoit, chez eux, des républiques dont la constitution étoit singuliere. Des peuples soumis étoient obligés de fournir la subsistance aux citoyens : les Lacédémoniens étoient nourris par les Islotes ; les Crétois, par les Périéciens ; les Thessaliens, par les Pénestes. Il ne devoit y avoir qu’un certain nombre d’hommes libres, pour que les esclaves fussent en état de leur fournir la subsistance. Nous disons aujourd’hui qu’il faut borner le nombre des troupes réglées. Or Lacédémone étoit une armée entretenue par des paysans ; il falloit donc borner cette armée : sans cela, les hommes libres, qui avoient tous les avantages de la société, se seroient multipliés sans nombre, & les laboureurs auroient été accablés.

Les politiques Grecs s’attacherent donc particuliérement à régler le nombre des citoyens. Platon[3] le fixe à cinq mille quarante ; & il veut que l’on arrête, ou que l’on encourage la propagation, selon le besoin, par les honneurs, par la honte, & par les avertissemens des vieillards ; il veut même que l’on règle le nombre des mariages[4] de manière que le peuple se répare, sans que la république soit surchargée.

  1. Par la valeur, la discipline, & les exercices militaires.
  2. Les Gaulois, qui étoient dans le même cas, firent de même.
  3. Dans ses loix, liv. V.
  4. République, liv. V.