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HISTOIRE VÉRITABLE


il étoit ruiné que personne ne s’en étoit aperçu. Dans cet état, je me servis des ressources que peuvent donner à une femme des accès à la Cour. Je me mêlay des affaires de ceux que la fortune avoit éloignés des grâces du Prince. Je connoissois les favoris et les ministres, et je les voyois souvent ; et, pour vous dire le caractère de ces gens là, leur vanité étoit flattée quand ils pouvoient faire quelque mauvais compliment aux hommes, et elle étoit flattée quand ils faisoient des politesses aux femmes : avec les hommes ils vouloient faire voir qu’ils étoient grands, et, avec nous, ils vouloient montrer qu’ils étoient aimables. Pour revenir à moy, j’aimois à demander, mais j’aimois aussi à obtenir. Quelque chose que l’on me dît, j’allois toujours mon train, et, pour les raisons qu’on pouvoit me donner, je n’étois pas bête au point de me piquer de les entendre. Au contraire, après qu’on avoit bien travaillé à m’expliquer l’impossibilité de la chose, on étoit tout étonné que je recommençois à la demander. Me parloit-on de maximes et de règles, je parlois de bienséances et d’égards, et, si l’on venoit me dire que la chose étoit sans exemple, je ne pouvois revenir de mon étonnement de ce qu’on ne vouloit pas faire un exemple pour moy.

Voilà comment je travaillois à corriger la pédanterie des hommes publics, et, sans cela, de quoy serions nous devenus[1] ? Vous pouvés compter qu’une femme qui n’est que femme, ruine un mari par son

  1. Tournure gasconne qui paraît avoir été familière à Montesquieu, car on la retrouve assez souvent dans ses premiers écrits.