Aller au contenu

Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
MONTESQUIEU


état, si elle ne le ruine pas par ses mœurs ; au lieu qu’une autre qui sçait se retourner, rétablit, par ses mœurs, une maison qu’elle ruineroit par son état.

Voicy une reflexion, mon cher Ayesda, que vous prendrés peut être pour une digression : c’est qu’il ne faut pas s’étonner que tant de gens courent après la Fortune ; il y a très peu d’hommes qui ayent de bonnes raisons pour se juger exclus de ses faveurs. Êtes-vous né avec de l’impertinence ? tant mieux ; il ne vous faut qu’un saut pour aller à l’importance, d’où vous volés à l’impudence, et vous parvenés. Êtes-vous né avec de la sottise ? vous voilà bien ; on vous mettra dans une grande place pour que vous n’en occupiés que le devant, et que le fond en soit toujours vuide. Parlés-vous à tort et à travers ? vous êtes trop heureux ; vous plaisés par là à la moitié du monde, et sûrement à plus des trois quarts de l’autre. Votre stupidité vous rend-elle taciturne ? cela est bon ; vous serés propre à recevoir le masque d’un homme de bon sens. Allons notre chemin ! marchons ! on ne sçauroit nous montrer une route que les fils de la Fortune n’ayent battue avant nous.

Dans la suite, je me trouvay une très jolie créature. Je ne sçavois pas encore ce que c’étoit que l’amour, et je cherchois à l’inspirer. À l’âge de douze ans, j’imaginois ; à treize, je me faisois séduire. Déjà j’accordois ce que je refusois, je hâtois ce que je différois, et je promettois ce que j’exigeois ; d’innocente, je devenois timide, je me laissois rassurer, et tout finissoit par des traits d’une très grande hardiesse. Après quinze ans d’aventures à Athènes, trop