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HISTOIRE VÉRITABLE


sortir par des vertus, il faut en sortir par de certains vices, où, au moins, par de certains ridicules. Sçachés que le dernier degré de bassesse est d’être d’une famille où personne n’a seulement été en état de recevoir des mépris distingués de la part du public. »

Dans une autre vie, je fus à un financier ; c’est-à-dire que je fus à luy après avoir été à beaucoup d’autres. Cet homme, qui n’avoit aucun usage du monde, me demanda d’abord, de la façon la plus grossière et la plus plate, si j’avois… il vouloit parler de cette fleur que le peuple cherche, et que les honnêtes gens supposent toujours. — « Monsieur, lui dis-je, je ne sçaurois répondre à cette question. Mais je vous supplie de voir combien je rougis ; un homme aussi aimable que vous mérite bien d’avoir, d’une femme, sa première faveur et sa dernière, mais vos doutes m’offensent au point que je crois que, si je ne vous aimois pas, je vous renverrois tous les présens que vous m’avés faits, et serois inexorable sur tous ceux que vous voulés me faire. Je les ay reçus comme des marques d’une belle passion, et, pour cela, il a fallu que je prisse beaucoup sur ma délicatesse. J’ay trahi mes sentimens de générosité pour faire paroître avec éclat tous les vôtres ; si j’avois agi autrement, et que j’eusse refusé vos dons, je me serois épargné la douleur de m’entendre faire une question si dure ! » — En finissant ces mots, je fis couler quelques larmes, et mon gros homme les crut. Il se félicita d’avoir été l’écueil contre lequel s’étoit brisé ma vertu, et sa vanité augmenta à un tel point son