Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
HISTOIRE VÉRITABLE


sentiés mes bons procédés. Soyés sûr que ce que j’accorde n’est rien en comparaison de ce que je refuse tous les jours. Vous êtes attaqué à chaque instant, mais, à quelques échecs près, l’avantage vous reste. — Nitocris, luy répondis-je, ce que vous dites m’est toujours cent fois plus insupportable que ce que vous faites. Je pourrois pardonner vos crimes, mais comment vous passer vos justifications ? — Eh bien ! dit-elle, j’avoue que j’ay tort de vous parler ainsy, et je vois qu’il convient mieux que je vous dise ingénuement la cause de votre malheur. L’amour que j’ay conçu pour… — Vous n’avés point, luy dis-je, conçu d’amour. Vous avés trop d’amans pour qu’ils puissent si fort vous plaire plus que moy. C’est votre vanité que j’ay à combattre et non pas votre goût ; un tel mal est sans remèdes. » — Il me vint dans l’esprit mille partis violens ; mais ma rage étoit moindre que mon désespoir, et je passois de la fureur à la foiblesse : je tombay dans une maladie de langueur, et mes douleurs, devenant tous les jours non pas plus vives mais plus profondes, mon âme sembla mourir et s’éteindre elle-même, dans cette misérable transmigration.

Suze acquit en moy un nouveau citoyen. Mon père étoit d’Athènes, et se tenoit, tout le long du jour, sur un petit théâtre, au port de Pirée, où il mangeoit du feu pour le plaisir du public, et arrachoit des dents pour son utilité. Dégoûté d’Athènes, il voyagea et pénétra jusqu’à la capitale d’un royaume des Indes. Une fluxion qu’eut le Roi le fit appeler dans le sérail. Par bonheur pour luy, aucune Reine