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HISTOIRE VÉRITABLE

Un jour le Roi me dit : « Je suis transporté de joye ; on vient de m’apprendre le lieu où sont cachés les trésors du Roi Athotis. » Et se tournant vers ses ministres : « Allés, courés, ayés moy des ouvriers ! Qu’on me renverse les montagnes ! » Je haussay les épaules : « Eh ! Seigneur, luy dis-je, le maître du monde peut-il s’enrichir ? — Oui ! car j’auray tous les trésors des Rois de Thèbes ; je les feray transporter à Memphis, et je les garderay pour mes besoins. — Je vous entends : à présent vous pouvés devenir plus avare, si vous ne pouvés pas devenir plus riche. »

Une autre fois, je le trouvay dans une furieuse colère : « Je suis indigné contre ceux de Memphis : ils se révoltent contre moy en plein théâtre ; j’ay du penchant pour un acteur, et ils applaudissent toujours à un autre. — Seigneur, luy dis-je, vous avés ôté au peuple la connoissance des affaires, et vous luy avés donné, pour occupation, les plaisirs du spectacle ; ces choses, vaines autrefois, sont devenues importantes pour luy. Vous venés, aujourd’hui, le gêner dans ces choses mêmes. Vous choqués son goût, ce goût qui est sa liberté. Seigneur, un peuple corrompu s’occupe de ce dont un peuple vertueux s’amuse. Voudriés vous qu’il employât son tems à vous demander compte de tout le sang que vous avés versé ? »

Des discours si brusques firent qu’on ne me garda pas longtemps à la Cour. Je quittay l’Égypte et je retournay à Corinthe, ma patrie, résolu de ne la quitter jamais.

Là, je vécus parmy mes concitoyens ; je quittay