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MONTESQUIEU


mes manières austères. J’avois senti qu’il ne suffisoit pas de faire admirer la vertu, et qu’il falloit la faire aimer.

Mon principal soin fut d’accoutumer mon esprit à prendre toujours les choses en bonne part, et à y chercher le bien, lorsqu’elles en étoient susceptibles.

Quand j’entendois crier que ceux qui gouvernoient l’état étoient des gens pervers, je disois en moy-même : « Voilà une opinion qu’il seroit à souhaiter qu’on n’eût pas, et cependant, elle peut avoir son utilité ; les gens qui ont du pouvoir se tiendront mieux sur leurs gardes ; ils n’ont déjà que trop de flatteurs ; il est bon qu’ils sçachent qu’ils ont à faire à des juges non seulement sévères, mais aussi prévenus. »

Quand on me disoit que les ministres aimoient le bien public, le tendre sentiment que j’avois pour la nature humaine se trouvoit flatté. Je sentois du plaisir à entendre ce discours ; je l’acceptois comme une vérité, ou comme un heureux présage de ce qui devoit être quelque jour.

Quand on soutenoit que nous avions un commerce florissant, je bénissois le destin de notre ville qui avoit permis qu’elle devînt grande sans qu’elle eût besoin de travailler à la destruction des autres peuples.

J’avois l’esprit vraiment patriote ; j’aimois mon pays non seulement parce que j’y étois né, mais encore parce qu’il étoit une portion de cette grande patrie qui est l’univers.

Ayant été obligé de faire un voyage à Athènes,