Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/58

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suis heureux ! je n’ai pu y réussir ; cette image y est restée, et elle y vivra toujours.

Je dis à Camille : J’aimais le bruit du monde, et je cherche la solitude ; j’avais des vues d’ambition, et je ne désire plus que ta présence ; je voulais errer sous des climats reculés, et mon cœur n’est plus citoyen que des lieux où tu respires : tout ce qui n’est point toi s’est évanoui de devant mes yeux.

Quand Camille m’a parlé de sa tendresse, elle a encore quelque chose à me dire ; elle croit avoir oublié ce qu’elle m’a juré mille fois. Je suis si charmé de l’entendre, que je feins quelquefois de ne la pas croire, pour qu’elle touche encore mon cœur : bientôt règne entre nous ce doux silence qui est le plus tendre langage des amans.

Quand j’ai été absent de Camille, je veux lui rendre compte de ce que j’ai pu voir ou entendre. De quoi m’entretiens-tu ? me dit-elle : parle-moi de nos amours ; ou, si tu n’as rien pensé, si tu n’as rien à me dire, cruel, laisse-moi parler.

Quelquefois elle me dit en m’embrassant : Tu es triste. Il est vrai, lui dis-je ; mais la tristesse des amans est délicieuse ; je sens couler mes larmes, et je ne sais pourquoi, car tu m’aimes ; je n’ai point de sujet de me plaindre, et je me