Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/59

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plains : ne me retire point de la langueur où je suis ; laisse-moi soupirer en même temps mes peines et mes plaisirs.

Dans les transports de l’amour, mon âme est trop agitée ; elle est entraînée vers son bonheur sans en jouir : au lieu qu’à présent je goûte ma tristesse même. N’essuie point mes larmes : qu’importe que je pleure, puisque je suis heureux ?

Quelquefois Camille me dit : Aime-moi. Oui, je t’aime. Mais comment m’aimes-tu ? Hélas ! lui dis-je, je t’aime comme je t’aimais : car je ne puis comparer l’amour que j’ai pour toi qu’à celui que j’ai eu pour toi-même.

J’entends louer Camille par tous ceux qui la connaissent : ces louanges me touchent comme si elles m’étaient personnelles, et j’en suis plus flatté qu’elle-même.

Quand il y a quelqu’un avec nous, elle parle avec tant d’esprit, que je suis enchanté de ses moindres paroles ; mais j’aimerais encore mieux qu’elle ne dît rien.

Quand elle fait des amitiés à quelqu’un, je voudrais être celui à qui elle fait des amitiés, quand tout à coup je fais réflexion que je ne serais point aimé d’elle.

Prends garde, Camille, aux impostures des