Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/72

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Je la trouvai enfin. Je sentis ma jalousie redoubler à sa vue, je sentis renaître mes premières fureurs. Mais elle me regarda, et je devins tranquille. C’est ainsi que les dieux renvoient les Furies, lorsqu’elles sortent des enfers.

Ô dieux ! me dit-elle, que tu m’as coûté de larmes ! Trois fois le soleil a parcouru sa carrière ; je craignais de t’avoir perdu pour jamais : cette parole me fait trembler. J’ai été consulter l’oracle. Je n’ai point demandé si tu m’aimais ; hélas ! je ne voulais que savoir si tu vivais encore. Vénus vient de me répondre que tu m’aimes toujours.

Excuse, lui dis-je, un infortuné qui t’aurait haïe, si son âme en était capable. Les dieux, dans les mains desquels je suis, peuvent me faire perdre la raison : ces dieux, Thémire, ne peuvent pas m’ôter mon amour.

La cruelle Jalousie m’a agité, comme dans le Tartare on tourmente les ombres criminelles. J’en tire cet avantage, que je sens mieux le bonheur qu’il y a d’être aimé de toi, après l’affreuse situation où m’a mis la crainte de te perdre.

Viens donc avec moi, viens dans ce bois solitaire : il faut qu’à force d’aimer j’expie les crimes