Page:Montesquieu - Le Temple de Gnide, 1824.djvu/81

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de voir le petit dieu presque enseveli. Mais à quoi m’amusé-je ? dit-elle. Il faut lui couper les ailes, afin qu’il n’y ait plus sur la terre d’hommes volages ; car ce dieu va de cœur en cœur, et porte partout l’inconstance. Elle prit ses ciseaux, s’assit ; et, tenant d’une main le bout des ailes dorées de l’Amour, je sentis mon cœur frappé de crainte. Arrête, Céphise ! Elle ne m’entendit pas. Elle coupa le sommet des ailes de l’Amour, laissa ses ciseaux, et s’enfuit.

Lorsqu’il se fut réveillé, il voulut voler ; et il sentit un poids qu’il ne connaissait pas. Il vit sur les fleurs le bout de ses ailes ; il se mit à pleurer. Jupiter, qui l’aperçut du haut de l’Olympe, lui envoya un nuage qui le porta dans le palais de Gnide, et le posa sur le sein de Vénus. Ma mère, dit-il, je battais de mes ailes sur votre sein ; on me les a coupées : que vais-je devenir ? Mon fils, dit la belle Cypris, ne pleurez point ; restez sur mon sein, ne bougez pas ; la chaleur va les faire renaître. Ne voyez-vous pas qu’elles sont plus grandes ? Embrassez-moi : elles croissent : vous les aurez bientôt comme vous les aviez ; j’en vois déjà le sommet qui se dore : dans un moment… C’est assez ; volez, volez, mon fils. Oui, dit-il, je vais me hasarder. Il s’envola ; il se