Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/110

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non-seulement un carrosse, mais encore pour cent mille francs de marchandises, en moins d’une heure ; tout cela se fit promptement, parce que mon homme ne marchanda rien et ne compta jamais : aussi ne déplaça-t-il pas. Je rêvois sur tout ceci ; et, quand j’examinois cet homme, je trouvois en lui une complication singulière de richesses et de pauvreté : de manière que je ne savois que croire. Mais enfin, je rompis le silence, et, le tirant à quartier, je lui dis : Monsieur, qui est-ce qui payera tout cela ? Moi, dit-il ; Venez dans ma chambre ; je vous montrerai des trésors immenses et des richesses enviées des plus grands monarques ; mais elles ne le seront pas de vous, qui les partagerez toujours avec moi. Je le suis. Nous grimpons à son cinquième étage, et, par une échelle, nous nous guindons à un sixième, qui étoit un cabinet ouvert aux quatre vents, dans lequel il n’y avoit que deux ou trois douzaines de bassins de terre remplis de diverses liqueurs. Je me suis levé de grand matin, me dit-il, et j’ai fait d’abord ce que je fais depuis vingt-cinq ans, qui est d’aller visiter mon œuvre : J’ai vu que le grand jour étoit venu, qui devoit me rendre plus riche qu’homme qui soit sur la terre. Voyez-vous cette liqueur vermeille ? Elle a à présent toutes les qualités que les philosophes demandent pour faire la transmutation des métaux. J’en ai tiré ces grains que vous voyez, qui sont de vrai or par leur couleur, quoiqu’un peu imparfaits par leur pesanteur. Ce secret, que Nicolas Flamel trouva, mais que Raymond Lulle et un million d’autres cherchèrent toujours, est venu jusques à moi, et je me trouve aujourd’hui un heureux adepte. Fasse le Ciel que je ne me serve