Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/112

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vive, dès qu’on en suppose une, il faut bien que l’on suppose aussi que Dieu aime les hommes, puisqu’il établit une religion pour les rendre heureux ; que s’il aime les hommes, on est sûr de lui plaire en les aimant aussi, c’est-à-dire en exerçant envers eux tous les devoirs de la charité et de l’humanité, en ne violant point les lois sous lesquelles ils vivent.

On est bien plus sûr par là de plaire à Dieu qu’en observant telle ou telle cérémonie ; car les cérémonies n’ont point un degré de bonté par elles-mêmes ; elles ne sont bonnes qu’avec égard, et dans la supposition que Dieu les a commandées ; mais c’est la matière d’une grande discussion : on peut facilement s’y tromper, car il faut choisir les cérémonies d’une religion entre celles de deux mille.

Un homme faisoit tous les jours à Dieu cette prière : Seigneur, je n’entends rien dans les disputes que l’on fait sans cesse à votre sujet ; Je voudrois vous servir selon votre volonté ; mais chaque homme que je consulte veut que je vous serve à la sienne. Lorsque je veux vous faire ma prière, je ne sais en quelle langue je dois vous parler. Je ne sais pas non plus en quelle posture je dois me mettre : l’un dit que je dois vous prier debout ; l’autre veut que je sois assis ; l’autre exige que mon corps porte sur mes genoux. Ce n’est pas tout : il y en a qui prétendent que je dois me laver tous les matins avec de l’eau froide ; d’autres soutiennent que vous me regarderez avec horreur si je ne me fais pas couper un petit morceau de chair. Il m’arriva l’autre jour de manger un lapin dans un caravansérail : trois hommes qui étoient auprès de là me firent