Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un beau projet de faire respirer l’air de Casbin à deux capucins : cela sera très utile et à l’Europe et à l’Asie ; il est fort nécessaire d’intéresser là-dedans les monarques : Voilà ce qui s’appelle de belles colonies ! Allez ! Vous et vos semblables n’êtes point faits pour être transplantés, et vous ferez bien de continuer à ramper dans les endroits où vous vous êtes engendrés.

À Paris, le 15 de la lune de Rhamazan, 1713.

LETTRE l.

Rica à ***.


J’ai vu des gens chez qui la vertu étoit si naturelle qu’elle ne se faisoit pas même sentir : ils s’attachoient à leur devoir sans s’y plier, et s’y portoient comme par instinct ; bien loin de relever par leurs discours leurs rares qualités, il sembloit qu’elles n’avoient pas percé jusques à eux. Voilà les gens que j’aime ; non pas ces hommes vertueux qui semblent être étonnés de l’être, et qui regardent une bonne action comme un prodige dont le récit doit surprendre.

Si la modestie est une vertu nécessaire à ceux à qui le ciel a donné de grands talents, que peut-on dire de ces insectes qui osent faire paroître un orgueil qui déshonoreroit les plus grands hommes ?

Je vois de tous côtés des gens qui parlent sans cesse d’eux-mêmes : leurs conversations sont un