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LETTRE li.

Nargum, envoyé de Perse en Moscovie, à Usbek.
À Paris.


On m’a écrit d’Ispahan que tu avois quitté la Perse, et que tu étois actuellement à Paris. Pourquoi faut-il que j’apprenne de tes nouvelles par d’autres que par toi ?

Les ordres du roi des rois me retiennent depuis cinq ans dans ce pays-ci, où j’ai terminé plusieurs négociations importantes.

Tu sais que le czar est le seul des princes chrétiens dont les intérêts soient mêlés avec ceux de la Perse, parce qu’il est ennemi des Turcs comme nous.

Son empire est plus grand que le nôtre : car on compte mille lieues depuis Moscou jusqu’à la dernière place de ses États du côté de la Chine.

Il est le maître absolu de la vie et des biens de ses sujets, qui sont tous esclaves, à la réserve de quatre familles. Le lieutenant des prophètes, le roi des rois, qui a le ciel pour marchepied, ne fait pas un exercice plus redoutable de sa puissance.

À voir le climat affreux de la Moscovie, on ne croiroit jamais que ce fût une peine d’en être exilé ; cependant, dès qu’un grand est disgracié, on le relègue en Sibérie.