Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/185

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médecin est auprès de mon lit, le confesseur me trouve à son avantage. Je sais bien empêcher la religion de m’affliger quand je me porte bien ; mais je lui permets de me consoler quand je suis malade : lorsque je n’ai plus rien à espérer d’un côté, la religion se présente et me gagne par ses promesses ; je veux bien m’y livrer, et mourir du côté de l’espérance.

Il y a longtemps que les princes chrétiens affranchirent tous les esclaves de leurs États, parce que, disoient-ils, le christianisme rend tous les hommes égaux. Il est vrai que cet acte de religion leur étoit très-utile : ils abaissoient par là les seigneurs, de la puissance desquels ils retiroient le bas peuple. Ils ont ensuite fait des conquêtes dans des pays où ils ont vu qu’il leur étoit avantageux d’avoir des esclaves ; ils ont permis d’en acheter et d’en vendre, oubliant ce principe de religion qui les touchoit tant. Que veux-tu que je te dise ? Vérité dans un temps, erreur dans un autre. Que ne faisons-nous comme les chrétiens ? Nous sommes bien simples de refuser des établissements et des conquêtes faciles dans des climats heureux[1], parce que l’eau n’y est pas assez pure pour nous laver selon les principes du saint Alcoran !

Je rends grâces au Dieu tout-puissant, qui a envoyé Ali, son grand prophète, de ce que je professe une religion qui se fait préférer à tous les intérêts humains, et qui est pure comme le ciel, dont elle est descendue.

De Paris, le 13 de la lune de Saphar, 1715.

  1. Les mahométans ne se soucient point de prendre Venise, parce qu’ils n’y trouveroient point d’eau pour leurs purifications.