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Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/189

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LETTRE lxxviii.

Rica à Usbek.
À ***.


Je t’envoie la copie d’une lettre qu’un François qui est en Espagne a écrite ici ; je crois que tu seras bien aise de la voir.

Je parcours depuis six mois l’Espagne et le Portugal, et je vis parmi des peuples qui, méprisant tous les autres, font aux seuls François l’honneur de les haïr.

La gravité est le caractère brillant des deux nations : elle se manifeste principalement de deux manières ; par les lunettes et par la moustache.

Les lunettes font voir démonstrativement que celui qui les porte est un homme consommé dans les sciences et enseveli dans de profondes lectures, à un tel point que sa vue en est affaiblie ; et tout nez qui en est orné ou chargé peut passer, sans contredit, pour le nez d’un savant.

Quant à la moustache, elle est respectable par elle-même, et indépendamment des conséquences ; quoiqu’on ne laisse pas quelquefois d’en tirer de grandes utilités pour le service du prince et l’honneur de la nation, comme le fit bien voir un fameux général portugais dans les Indes[1] : car, se trouvant avoir besoin d’argent, il se coupa une de ses moustaches, et envoya demander aux habitants de Goa vingt mille pistoles sur ce gage ; elles

  1. Jean de Castro.