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qu’il ne feroit pas lui-même, peut-être pour l’empire du monde.

À Paris, le 26 de la lune de Gemmadi 1, 1715.

LETTRE lxxxvii.

Rica à ***.


Il semble ici que les familles se gouvernent toutes seules : le mari n’a qu’une ombre d’autorité sur sa femme, le père sur ses enfants, le maître sur ses esclaves ; la justice se mêle de tous leurs différends ; et sois sûr qu’elle est toujours contre le mari jaloux, le père chagrin, le maître incommode.

J’allai l’autre jour dans le lieu où se rend la justice. Avant d’y arriver, il faut passer sous les armes d’un nombre infini de jeunes marchandes, qui vous appellent d’une voix trompeuse. Ce spectacle, d’abord, est assez riant ; mais il devient lugubre lorsqu’on entre dans les grandes salles, où l’on ne voit que des gens dont l’habit est encore plus grave que la figure. Enfin, on entre dans le lieu sacré où se révèlent tous les secrets des familles, et où les actions les plus cachées sont mises au grand jour.

Là, une fille modeste vient avouer les tourments d’une virginité trop longtemps gardée, ses combats et sa douloureuse résistance : elle est si peu fière de sa victoire, qu’elle menace toujours d’une