Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/52

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Ou bien : Il y a un champ qui touche celui de mon père, et ceux qui le cultivent sont tous les jours exposés aux ardeurs du soleil ; il faut que j’aille y planter deux arbres, afin que ces pauvres gens puissent aller quelquefois se reposer sous leur ombre.

Un jour que plusieurs Troglodytes étoient assemblés, un vieillard parla d’un jeune homme qu’il soupçonnoit d’avoir commis une mauvaise action, et lui en fit des reproches. Nous ne croyons pas qu’il ait commis ce crime, dirent les jeunes Troglodytes, mais, s’il l’a fait, puisse-t-il mourir le dernier de sa famille !

On vint dire à un Troglodyte que des étrangers avoient pillé sa maison, et avoient tout emporté. S’ils n’étoient pas injustes, répondit-il, je souhaiterois que les dieux leur en donnassent un plus long usage qu’à moi.

Tant de prospérités ne furent pas regardées sans envie : les peuples voisins s’assemblèrent ; et, sous un vain prétexte, ils résolurent d’enlever leurs troupeaux. Dès que cette résolution fut connue, les Troglodytes envoyèrent au-devant d’eux des ambassadeurs, qui leur parlèrent ainsi :

« Que vous ont fait les Troglodytes ? Ont-ils enlevé vos femmes, dérobé vos bestiaux, ravagé vos campagnes ? Non : nous sommes justes, et nous craignons les dieux. Que voulez-vous donc de nous ? Voulez-vous de la laine pour vous faire des habits ? voulez-vous du lait de nos troupeaux, ou des fruits de nos terres ? Posez bas les armes ; venez au milieu de nous, et nous vous donnerons de tout cela. Mais nous jurons, par ce qu’il y a de plus sacré, que, si vous entrez dans nos terres comme ennemis, nous vous regarderons comme