Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/157

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tenter sa pitié, à mesure qu’il étoit plus inexorable.

Depuis ce temps, son âme insolente et servile s’est élevée sur la mienne. Sa présence, ses regards, ses paroles, tous les malheurs viennent m’accabler. Quand je suis seule, j’ai du moins la consolation de verser des larmes ; mais, lorsqu’il s’offre à ma vue, la fureur me saisit ; je la trouve impuissante ; et je tombe dans le désespoir.

Le tigre ose me dire que tu es l’auteur de toutes ces barbaries. Il voudroit m’ôter mon amour et profaner jusques aux sentiments de mon cœur. Quand il me prononce le nom de celui que j’aime, je ne sais plus me plaindre, et je ne puis plus que mourir.

J’ai soutenu ton absence, et j’ai conservé mon amour, par la force de mon amour. Les nuits, les jours, les moments, tout a été pour toi. J’étois superbe de mon amour même ; et le tien me faisoit respecter ici. Mais à présent… Non, je ne puis plus soutenir l’humiliation où je suis descendue. Si je suis innocente, reviens pour m’aimer. Reviens, si je suis coupable, pour que j’expire à tes pieds.

Du sérail d’Ispahan, le 2 de la lune de Maharram, 1720.

LETTRE CLVIII.

ZÉLIS À USBEK.
À Paris.


À mille lieues de moi, vous me jugez coupable : à mille lieues de moi, vous me punissez.