Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/41

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nombre, et qu’on en bannît tous ceux qui ne servent qu’à la volupté ou à la fantaisie, je le soutiens, cet État seroit un des plus misérables qu’il y eût au monde.

Quand les habitants auroient assez de courage pour se passer de tant de choses qu’ils doivent à leurs besoins, le peuple dépériroit tous les jours ; et l’État deviendroit si foible qu’il n’y auroit si petite puissance qui ne fût en état de le conquérir.

Je pourrois entrer ici dans un long détail, et te faire voir que les revenus des particuliers cesseroient presque absolument, et par conséquent ceux du prince. Il n’y auroit presque plus de relation de facultés entre les citoyens ; cette circulation de richesses et cette progression de revenus, qui vient de la dépendance où sont les arts les uns des autres, cesseroient absolument ; chacun ne tireroit de revenu que de sa terre, et n’en tireroit précisément que ce qu’il lui faut pour ne pas mourir de faim. Mais, comme ce n’est pas la centième partie des revenus d’un royaume, il faudroit que le nombre des habitants diminuât à proportion, et qu’il n’en restât que la centième partie.

Fais bien attention jusqu’où vont les revenus de l’industrie. Un fonds ne produit annuellement à son maître que la vingtième partie de sa valeur ; mais, avec une pistole de couleur, un peintre fera un tableau qui lui en vaudra cinquante. On en peut dire de même des orfèvres, des ouvriers en laine, en soie, et de toutes sortes d’artisans.

De tout ceci, on doit conclure, Rhédi, que, pour qu’un prince soit puissant, il faut que ses sujets vivent dans les délices ; il faut qu’il travaille à