Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/55

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il ne l’a pas pu dans l’autre. C’est donc parce qu’il ne l’a pas voulu. Mais, comme il n’y a point de succession dans Dieu, si l’on admet qu’il ait voulu quelque chose une fois, il l’a voulue toujours et dès le commencement.

Il ne faut donc pas compter les années du monde ; le nombre de grains de sable de la mer ne leur est pas plus comparable qu’un instant.

Cependant tous les historiens nous parlent d’un premier père : ils nous font voir la nature humaine naissante. N’est-il pas naturel de penser qu’Adam fut sauvé d’un malheur commun, comme Noé le fut du Déluge ; et que ces grands événements ont été fréquents sur la terre, depuis la création du monde ?

Mais toutes les destructions ne sont pas violentes. Nous voyons plusieurs parties de la terre se lasser de fournir à la subsistance des hommes : que savons-nous si la terre entière n’a pas des causes générales, lentes et imperceptibles, de lassitude ?

J’ai été bien aise de te donner ces idées générales, avant de répondre plus particulièrement à ta lettre sur la diminution des peuples arrivée depuis dix-sept à dix-huit siècles. Je te ferai voir, dans une lettre suivante, qu’indépendamment des causes physiques, il y en a de morales qui ont produit cet effet.

De Paris, le 8 de la lune de Chahban 1718.