Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/188

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Mais, quand le Prince est gouverné par ses femmes, le mal est moins grand. Leurs intérêts ne sont point les mêmes ; elles ne peuvent s’unir ; elles se détruisent. Les eunuques les décréditent. Leurs des5 seins sont moins suivis, moins profonds, moins réfléchis, plus téméraires. Enfin, il est rare que, dans un monarque, la foiblesse du cœur fasse autant de maux que la foiblesse d’esprit1.

Dans un ouvrage du lettré Tang-King-Tchuel, fait o sous la dynastie des Mings, que nous a donné le père Du Halde, on trouve ces belles réflexions:

« Quand un prince se livre aux eunuques, il regarde comme étrangers les gens vertueux, habiles et zélés, qu’il a à sa cour. Ils se retirent. Le Prince ouvre-t-il 5 les yeux et cherche-t-il les secours des officiers du dehors? Ils ne savent comment faire : car le Prince est comme en ôtage. Si l’entreprise des officiers du dehors ne réussit pas, un ambitieux trouve le moyen d’envelopper le Souverain dans la cause des eunuques, et il séduit le cœur des peuples en exterminant ces canailles. »

Se livrer aux femmes est un moindre mal: car, si le Prince se reconnoît, le mal se peut guérir. Mais, si, par une confiance outrée, il s’est livré à ses eunuques, il ne peut revenir sans se perdre.

Depuis l’empereur Hoen-Ling jusqu’à Hien-Ti, l’Empire se gouvernoit ou plutôt se bouleversoit au gré des eunuques.

i. Il ne faudra pas faire ce chapitre si général ; mais l’attribuer seulement à la Chine.